Tribune : Des élèves dénoncent le projet pas sympa de JM Blanquer.

Nous, élèves du primaire, du secondaire au collège, du secondaire au lycée général, du secondaire au lycée technologique, du secondaire au lycée professionnel, sommes des témoins privilégiés et pas trop bien informés de la situation actuelle de l’école vu qu’on nous prend toujours pour des cons immatures. Aller en cours, écouter sans trop bouger sa table et rigoler avec son/sa voisin.e, poser des questions quand on comprend pas, ne pas poser des questions parce qu’on a peur de se faire engueuler, bouffer plus ou moins bien à la cantine, avoir ou pas du rab de frites, apprendre nos leçons, faire des exercices, trouver parfois les solutions, pleurer quand on n’y arrive pas, mettre une claque à sa petite sœur quand elle vient nous faire chier avec son problème de math : tel est, depuis tant de temps pour les uns, moins longtemps pour d’autres, notre métier. Nous ne nous sentons pas artisans, et avons toujours été du côté des réformes quand celles-ci allaient dans le sens de rentrer plus tôt le soir à la maison. L’esprit de chapelle nous est étranger (surtout pour les non-catholiques) et l’idée d’appartenir à un quelconque parti ou organisation qui nous aurait obligés à nous taire en cas de désaccord ne nous a jamais effleuré (pas compris ce que ça voulait dire mais on le laisse quand même). Du reste, certains d’entre nous aiment Christine & the Queens et d’autres pas du tout mais notre fayoté aux valeurs de l’École n’est d’aucun bord, elle est quotidienne. Et nous nous efforçons, au jour le jour parce qu’on peut pas faire autrement, de nous défendre et de vivre de notre mieux en nous disant qu’un jour on finira bien par faire ce qu’on veut.

Or aujourd’hui, nous ne pouvons plus nous taire. Et c’est d’autant plus facile qu’avec le Covid 19, on n’est plus tous dans une classe, obligés de la fermer sinon on prend deux heures de colle. On ne comprend rien à ce que dit le ministre, même les bons élèves ce qui veut dire que soit c’est trop compliqué, soit ça veut rien dire, soit il nous prend pour des cons, soit c’est les trois en même temps. Nous considérons donc que ce serait une faute éthique et irresponsable de se taire. Qu’observons-nous bien plus précisément que Gilles Boulleau, Laurent Delahousse ou Yves Calvi qui posent des questions au ministre sans être allés à l’Ecole depuis un moment, à supposer que certains y soient allés un jour.

Nous voyons tout d’abord un immense tas de choses qui sont même pas vraies dans leur fausseté inexacte.

En prétendant construire une école de la Confiance, le ministre a fait qu’on a perdu confiance en nous. On a toujours peur de tout et de tout le monde. Et, en plus, on n’a pas droit de le dire parce que dans les conseils de classe, à part demander si on peut allumer la lumière pour y voir mieux, on ne peut rien dire sur la nourriture qui est pas bonne ou les cours de la prof de maths auxquels on comprend que dalle. Tout ça c’est du management autoritaire, fondé sur l’imitation des trucs de Super Nanny ou de l’autre grand con de Grand frère. Si tu dis un truc un truc qui va pas, tu te prends une remarque façon Cristina Cordula dans ta face. Alors, on ne sait pas si c’est pareil pour les adultes mais faut obéir de manière aveugle et tout le monde n’est pas Gilbert Montagné pour réussir ça.

Les élèves que nous sommes voient se déployer sans retenues (pourquoi le ministre il n’a jamais d’heures de colle, lui ?), un double discours permanent. Un jour, il dit blanc, un jour il dit noir et nous on est les gris parce qu’on comprend pas bien ce qu’on doit faire ou penser. C’est de la « duplicité chronique » (nota : c’est Charlotte qui a voulu qu’on mette les guillemets parce qu’il faut toujours citer entre guillemets qu’elle a dit). Nous, élèves du primaire, on nous a dit que ça allait être super, qu’il y aurait 12 élèves seulement en CP et qu’on serait bien meilleurs grâce à ça. Mais après on est tellement dans les classes que parfois, il faut empiler les tables les unes sur les autres pour faire rentrer tout le monde. Alors, on ne sait pas ce que le ministre il a comme ressenti sur ça mais nous, c’est vraiment chiant de se prendre les stylos du voisin du dessus sur la figure quand il est trop nul pour réussir à les faire tourner sur sa main. Si le ministre il avait des chiffres montrant l’efficacité de cet élevage en batterie, autres que ceux qu’invente son conseiller 2, ça serait bien qu’il les montre plutôt que d’aller faire des sourires crispés à Jean-Jacques Bourdin et des sourires complices à Léa Salamé.  Nos camarades des lycées professionnels, qu’on a un peu trop tendance à prendre pour des cons, ont bien compris que l’Excellence en voie professionnelle, ça veut dire tu apprends le moins de trucs possibles qui te permettront de penser comme un adulte et, au contraire, à toujours être plus efficace façon robot pour que les entreprises elles t’utilisent au maximum tant que t’es jeune et puissent te jeter quand tu commences à fatiguer. En voie générale des lycées, la réforme du Bac c’est un bordel sans nom ; si tu ne sais pas tout et tout faire d’avance, t’as aucune chance de réussir les E3C de janvier… et ce sera pire pour les spécialités parce que faudrait que tu aies tout wikipedia dans la tête. Tout ça, ça montre que plus ta famille elle est riche, plus tu as de chances de t’en sortir. C’est pas nouveau mais ça s’arrange pas.

Nos profs, ils sont tout tristes

Depuis trois ans, plus pour certains, nos enseignants ne sont plus aussi heureux qu’avant de venir travailler avec nous. Oh ils nous aiment toujours beaucoup (sauf, madame Gronié et monsieur Senpitié au lycée Maxime Grouchard de Grigny qui sont des peaux de vache / motion proposée par Kevin et adoptée à la majorité simple) mais ils sont tout tristes parce qu’on ne les laisse plus travailler comme ils veulent ; leur liberté pédagogique est mise à mal alors que justement ils ne pensent pas à mal quand ils inventent des trucs nouveaux pour qu’on soit heureux de bosser. Parfois, même s’ils ne peuvent pas le dire parce qu’il y a un soi-disant article 1 qui les empêchent de parler, ils nous disent qu’on leur demande de faire des trucs débiles, qu’on les surveille comme les laids sur le feu, qu’ils doivent faire tout, son contraire et même parfois les deux en même temps tout en gardant le sourire. En fait, le ministre, il se conduit avec eux comme les plus méchants des profs se conduisent avec nous. On trouve que c’est pas du tout sympa parce que ce sont justement les meilleurs profs, ceux qui savent nous intéresser qui souffrent le plus et qui burnoutent en grand nombre. Il paraît même que c’est pareil pour les inspecteurs et les inspectrices, ces messieurs-dames toujours bien habillés qui viennent faire flipper nos profs une fois de temps en temps et les amènent faire un parcours dans la carrière (alors, que franchement, ce serait plus agréable le long d’une rivière d’aller se promener après l’inspection). Tout ça, à ce qu’on a compris, parce que le Ministre il veut pas qu’il y ait une autre tête qui dépasse que la sienne et qu’il veut des résultats qui aillent dans son sens pour dire qu’il a raison, que c’est lui le plus grand, le plus fort et le plus beau (là, on n’est pas tous d’accord, il y a deux sixièmes qui n’ont pas la télé et qui le trouvent beau quand même).

Ce que nous ont dit nos camarades Charlotte et Kevin qui représentent les CVL auprès du ministère, c’est qu’autour du ministre, c’est plein de technocrates plus soucieux de leur intérêt de carrière à court terme (ils cirent les pompes du ministre du matin au soir) que de la qualité du service rendu car ils sont méprisants, hautains, débiles, neuneus, sans expérience, carriéristes, anciens bons élèves, bourrés de fric, experts en rien mais savants en tout, surtout des mecs et ils n’ont même pas d’enfants. Des cons quoi !

Scientisme (on cherche encore la définition…)

Alors, à ce qu’il parait, selon nos camarades qui arrivent à comprendre les cours de SVT, le Ministre il dit que « Tout se joue dans le cerveau ». Alors, on n’est pas cons, on le savait déjà. Mais, du coup, pour muscler nos cerveaux, il y aurait une « invasion des soft skills issues de l’idéologie néolibérale, reprenant les théories béhavioristes les plus éculées » (on vous laisse comprendre par vous-même). En gros, ce qu’on voit, c’est qu’on nous met devant des ordinateurs et que c’est eux qui déterminent si on est intelligent, cons ou très très cons. Et si tu échoues, on te dit que c’est de ta faute parce que ton cerveau il a pas bien été configuré par ta famille et qu’à moins de faire un total reset, tu es bon seulement pour faire des fatal errors tout le temps. En gros, t’es dans ta merde, débrouille-toi pour t’en sortir et si tu le fais n’attends pas qu’on te félicite, c’est parce que ton cerveau il était juste bon. Le Ministre, il est jamais responsable de la réussite des élèves mais il se félicite de chacune de leurs réussites qui sont toujours les siennes.

Un projet qui avance comme un avion à réaction

Nous contemplons aussi, atterrés voire enterrés, des mesures qui ne font qu’augmenter les inégalités sociales. On a déjà dit que les enfants des familles les plus riches avaient plus de chances de réussir, même si le cerveau des enfants de la famille sont très mal foutus (on a des noms mais, en bons camarades, on caftera pas). On voit bien que ce qui est le plus important c’est pas d’apprendre mais de remplir les bons papiers au bon moment avec les bonnes décisions. Et ça, plus tu es dans une famille où le niveau social il est pas haut, plus c’est compliqué et plus tu ramènes la feuille en retard et avec des taches de graisse dessus que tu te fais engueuler par le professeur principal parce qu’il va se faire engueuler par l’administration du bahut. La preuve que c’est ça qui est vraiment important, c’est qu’on interrompt les cours pour distribuer ou relever des papiers, et jamais l’inverse. Aujourd’hui, faut avoir fait l’Ecole militaire pour pouvoir définir une stratégie et choisir les bonnes spécialités au bon moment et dans le bon établissement. Après, faut la jouer tactique pour être performant aux E3C ou pour éviter qu’on ne réussisse à les passer dans ton bahut. Tout ça va très vite, se fait à 800 à l’heure et quand tu atterris, tu te rends compte que tu n’es pas là où tu voulais aller et qu’il n’y a pas de correspondance pour aller ailleurs. Bref, t’es un élève aujourd’hui, t’es tout le temps stressé et anxieux et c’est pour ça que tu n’as que Candy Crush et Animal Crossing pour te calmer. Les profs ne sont plus là pour te former, ils sont là pour te déformer, te plier en quatre et t’expédier sous forme d’un fichier numérique dans un grand ordinateur qui décidera de ce que sera ta vie future. Même Michelin, l’ONISEP de la vraie vie, il peut plus t’aider à te repérer. Si tu peux pas te payer un Tom-Tom de qualité, tu es perdu dès la maternelle tellement ça va vite.

Éducation à la citoyenneté et laïcité dérouillées

Pour tout vous avouer, on a souvent du mal avec les cours d’EMC mais on ne comprend plus trop ce qui se passe là-dedans puisqu’on nous dit d’être des citoyens engagés, responsables, soucieux de leurs concitoyens, respectueux des lois et aimant leur prochain (mais pas de trop près à cause de la distanciation sociale ce qui est très difficile à l’arrivée du printemps)… mais quand on veut dire des trucs, on nous dit qu’on est nuls, crétins et qu’on comprend rien à rien alors qu’on ferait mieux de la fermer. On a l’impression que le Ministre il veut qu’on soit des bons citoyens qui ferment leurs gueules. C’est pas exactement ce qu’on apprend en classe. Alors c’est vrai qu’on a maintenant des drapeaux et les paroles de la Marseillaise dans nos salles mais on préfèrerait que les adultes, ils montrent l’exemple parce que là, c’est compliqué de savoir à quoi on doit ressembler plus tard. Aux personnes idéales de nos manuels d’EMC ou aux experts des chaînes d’informations en continu ? Il paraît qu’on doit respecter autrui mais comment tu veux respecter quelqu’un si personne ne te respecte « quand tu t’appelles Saïd ou Mohammed » comme le disait le grand poète gascon Francis Cabrel. Déjà, le Ministre, il faudrait qu’il nous respecte nous les élèves en évitant de faire peur à nos petits frères et petites sœurs quand il visite les maternelles… et qu’il nous respecte aussi quand il tente de faire croire qu’il y a des tableaux numériques dans toutes les salles de classe du pays.

 

Nous, élèves des villes, des campagnes et des trous perdus du Massif Central où y a même pas la 3G, ne pouvons nous résoudre à cette situation et prenons la responsabilité d’écrire ici pour, qu’au moins, nous puissions nous regarder en face et nous dire que nous avons prévenu du tournant dangereux qu’avait pris l’École (et sans panneau triangulaire indicatif placé à 150 mètres avant en campagne et 50 mètres en ville). Car au-delà de telle ou telle mesure, c’est bien la philosophie d’ensemble qui vient heurter nos quotidiens. Qu’on aime ou pas l’Ecole, nous avons besoin de croire en elle pour lui trouver un sens. Nous avons besoin de sentir qu’elle nous soutient tous et toutes de la même manière pour lui faire confiance. Le Ministre ne connait quasiment aucun de nous personnellement mais il agit comme si nous étions tous semblables, seulement différenciés par une configuration innée de nos cerveaux. On a besoin qu’on nous apprenne à apprendre et à aimer apprendre, à vivre et à aimer vivre avec les autres. Nous voulons ne pas être des chiffres anonymes, des statistiques, des noms sur des écrans d’ordinateurs. Nous observons, consternés, un système éducatif détourné de ses fondements républicains et de ses valeurs et ne pouvons nous taire. Nous sommes la France de demain et d’après-demain et tout ce que nous aurons eu à subir, nous ne pourrons faire autrement que de vous le faire payer à notre tour quand vous serez devenus bien vieux, usés et fatigués. Ok, boomer ?
Charlotte, Kevin, Kylian, Cynthia, Mohamed, Léa, Fiona, Ludmilla, Ianis, Thomas, Mathieu, Mattieu, Matthieu, Matéo, Mathéo, Iris, Faiza, Sandrine, Cendrine, Sandra, Oscar, Carlos, Jean-Charles, Hubert-Yves, Nabila, Andrianina, Claire, Marie, Nicolas, Kim, Tim, Tom, Tam, Colette, Fano, Eve, Eva, Evita, Sécarta, Alfonso, Pedro, Ricardo, Pastisso, Erwan, Edwin, Erwin, Edwan, Corentin, Marina, Baie-des-Anges, Isaac, Josuah, Sibeth, Jean, Amadou, Célia, Céline, Hugues, Aufray, Jean-Foutre, Suzanna, Carla, Clara, Roselinde, Kader, Jody, Oussama, Josiane, Carine, Corinne, Mamadou, Vincent, François, Paul et les autres

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