20 mars 1959 : une double page pou pou pi dou…

20 mars 1959
Sortie de Some Like It Hot

Les faits…

« Je serai peut-être le premier à mettre des sous-titres anglais dans un film en anglais ». Cette boutade du réalisateur Billy Wilder est une réaction aux premières projections de son dernier film Some like it hot (Certains l’aiment chaud en français) : les gens rient tellement qu’ils perdent en route une partie des dialogues. Un succès public et critique que cette comédie en noir et blanc qui met à l’affiche Marilyn Monroe, de retour sur l’écran après une longue pause, Tony Curtis et Jack Lemmon. Cinq Oscar viendront récompenser le long métrage à Hollywood (dont meilleure réalisateur et meilleur acteur pour Jack Lemmon mais, comme toujours, rien pour Marilyn Monroe). Succès intemporel même puisque le film est classé comme la meilleure comédie américaine de tous les temps.
Pourtant, pour le réalisateur, le tournage entre août et novembre 1958 aura été tout sauf une partie de plaisir. La faute à Marilyn qui arrive en retard de plusieurs heures sur le plateau, doit refaire des dizaines de prises car elle oublie son texte, traine toujours derrière elle l’épouse de Lee Strasberg, le prestigieux directeur de l’Actors Studio ; « Pour la faire jouer, c’était comme arracher une dent » dira Wilder après le tournage se défoulant contre la star de tous les contre-temps endurés. D’ailleurs, Wilder, qui avait déjà travaillé avec Marilyn, ne l’avait pas choisie… et il voulait Frank Sinatra dans le rôle interprété par Jack Lemmon. Autant dire que dans son esprit, le film ne pouvait qu’être catastrophique une fois terminé. D’ailleurs, lui et son co-scénariste n’avaient même pas de fin. Juste une réplique provisoire, « Nobody’s perfect », qu’ils espéraient bien remplacer avant la fin du tournage.
Le film est l’adaptation d’un film allemand de 1951, lui-même adapté d’un film français des années 30 intitulé Fanfare d’amour. Deux musiciens de jazz sont témoins malgré eux d’un règlement de comptes entre bande de truands dans le Chicago de la Prohibition. Ils choisissent de disparaître en s’engageant dans un orchestre féminin ; travestis, Joe (Tony Curtis) devient Joséphine et Jerry (Jack Lemmon) devient Daphné. Au sein de la troupe, la chanteuse et joueuse de ukulélé, Sugar Cane (Marilyn Monroe), ne tarde pas à troubler Joe qui s’invente une autre identité, celle d’un riche industriel du pétrole. A Jerry de trouver les moyens de l’aider à passer d’un personnage à l’autre sans rien trahir. La situation se complique lorsqu’un millionnaire, Osgood, s’éprend de Daphné… et que les gangs de Chicago viennent se retrouver dans le même hôtel que Joe et Jerry sous le couvert de participer à une conférence des Amis de l’opéra italien. Et tout est bien qui finit bien.
Ou presque…
Nobody’s perfect…

= Zoom : Billy Wilder =

Né en Pologne autrichienne en 1906, Samuel Wilder devient journaliste à Vienne avant de s’installer à Berlin où il commence à écrire des scénarios. Après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il s’installe à Paris où il tourne un premier film avant de gagner les Etats-Unis où un de ses scénarios a été accepté. Il entre alors à la Paramount comme auteur (ce qui lui interdit d’être le propre réalisateur de ses histoires car le système américain catégorise strictement les employés des grandes compagnies cinématographiques). Il ne réalise son premier film, Uniformes et jupons courts, qu’en 1942. Il obtient son premier Oscar en 1946 pour Le Poison. Les années 50 et 60 le voient devenir le maître de la comédie américaine (Sept ans de réflexion ; Sabrina ; La Garçonnière ; Irma la douce) mais ses scénarios se fondent toujours sur des situations interrogeant la société américaine, histoires qu’il traite avec un humour corrosif. Au début des années 70, il choisit de partir tourner ses derniers films en Europe pour plus de liberté. Il met un terme à sa carrière en 1981 et meurt en mars 2002 à Beverly Hills.

LA REF : Brion (Patrick), Billy Wilder, Paris, CNRS, coll. Art/Ciné, 2012, 233 p.

… et leur mise en perspective

Le cinéma américain a-t-il fait progresser les idées libérales dans le monde ?

Dans l’imaginaire collectif, le cinéma américain des Trente Glorieuses, c’est Hollywood et ses stars, un vent d’aventures, de glamour, de rêve et de liberté déferlant sur la « vieille Europe », et au-delà le monde non communiste, dans le prolongement de la libération par les armes de 1944-1945. Ce cinéma positif, où le gentil l’emporte le plus souvent sur le méchant, où la star même tourmentée porte en elle de belles valeurs à l’écran, n’hésite pourtant pas à évoquer les problèmes sociaux du moment : l’homosexualité, la place des femmes, le racisme. Pour cela, des cinéastes imaginatifs défient le redoutable code Hays, appliqué à partir de 1934, qui interdit de se moquer de la religion ou de la patrie, de montrer la nudité, de présenter positivement un crime ou d’attenter à la décence. Billy Wilder prenait ces contraintes avec philosophie et s’amusait, comme d’autres, à les contourner : Certains l’aiment chaud, à travers le travestissement des deux héros et la passion d’Osgood pour Jerry/Daphné, parle bien d’homosexualité. Avec des films comme La porte s’ouvre (Mankiewicz, 1950) ou Devine qui vient diner ce soir (Kramer, 1967), la question du racisme et de l’égalité entre blancs et noirs est abordée. Il est même des westerns qui osent prendre le parti des Indiens en rappelant que les Américains leur prenaient leur terre. Le cinéma d’Hollywood ose donc avec courage contester les normes sociales de son époque et permettre ainsi la progression des idées libérales ?
Rien n’est moins sûr car le cinéma hollywoodien, même s’il s’attaque parfois à ces normes, ne fait généralement que les renforcer. Paradoxalement, il y avait plus de liberté avant le code Hays : Jane, la compagne de Tarzan, dans la série de films avec Johnny Weissmuller des années 30, se trouve soudain habillée d’une robe alors que lors de sa première apparition, elle portait une sorte d’ancêtre du bikini ; le premier film à recevoir un Oscar en 1927, Wings, montrait deux hommes en train de s’embrasser. Jusqu’aux années 70, les mères de famille seront généralement sages, obéissantes à leur mari et prendront soin de l’intérieur de la maison. Jusqu’aux années 70, les noirs n’apparaitront que dans des seconds rôles de faire-valoir et les « perversions sexuelles » ne seront évoquées que pour en rire. Les cinémas qui abordent vraiment les problèmes de la société, les formes de déviance face à des normes moralisatrices, viennent d’Europe (néoréalisme italien, Nouvelle vague française).
Le cinéma hollywoodien est d’autant moins bien placé pour parler de liberté qu’il cumule les entorses à ce principe qu’il entend pourtant exalter. Le système des studios hollywoodien emprisonne acteurs, réalisateurs et scénaristes dans le corset de contrats longs dont on ne s’extirpe qu’à grands frais ou au prix de longues tensions. Hollywood se montre aussi fort enclin à accompagner dans les années 50 la croisade anticommuniste du sénateur Joseph McCarthy : on y dénonce sans états d’âme des cinéastes comme Charlie Chaplin ou Jules Dassin, des scénaristes comme Donald Trumbo, comme étant des sympathisants communistes. Les idées libérales promues par le cinéma américain sont donc bien plutôt celles qui vont dans le sens du mode de vie américain, un modèle s’opposant en pleine guerre froide au monde communiste.

= Ce qu’on croit, ce qu’on sait : Marilyn Monroe, légende dorée ou légende noire ? =

La ravissante idiote blonde platine qui chante « I wanna be loved by you » ou l’insupportable star aux caprices éhontés qui rend fous les réalisateurs ? Qui était Marilyn Monroe ? Les deux sans doute puisque ses films et les témoignages sur ses excès existent… Mais, comme dans beaucoup de domaines, le temps a permis d’affiner les analyses. Marilyn Monroe n’était pas une ravissante idiote (les textes qu’elle a laissés le montre) mais la prisonnière d’un personnage façonné par d’autres et qu’elle n’a très rapidement plus supporté. Elle voulait exister en tant que personne et on lui demandait sans cesse d’être une autre. Elle aurait voulu être une actrice respectée et on la renvoyait sans cesse aux mêmes types de rôles qu’on ne récompensait jamais aux Oscar (même pas d’une nomination). La vie de Marilyn Monroe est en fait une fuite incessante (par l’alcool, le mariage, l’internement, l’excentricité…), une fuite impossible puisque ce qu’elle voulait fuir, c’était elle, mythe vivant. « Tu étais si belle que nul ne s’aperçut de ta mort » dira René Char après son suicide.

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